Le pré des chevaliers à Croizet sur Gand...

 

Claude Janin

 

- Salut, ça va, t’as passé un bon week end ?

 

    - Oui très bon. Et toi ?

 

- J’ai fait de la rando. Et tiens, Samedi, je me suis balladé vers Ratille, à Croizet. Dans le fond, au bord du Gand, il y a un pré qui s’appelle le pré des chevaliers… C’est quoi ce nom ?

 

    - Alors là, ce n’est pas facile à dire. Les origines peuvent être nombreuses. Y a-t-il eu à proximité une maison forte appartenant à des chevaliers ? Une     troupe a-t-elle stationné là ? Une seule chose paraît sûre… une telle appellation est a priori d’origine médiévale…

- Oui. Mais tu as bien une petite idée ?

 

    - Bien sûr. Mais tu ne vas pas me croire…

 

- Vas y vas y

 

    - Je pense qu’il y a eu là un combat entre des chevaliers…

 

- Ici ? En pleine campagne ? Dans ce petit village ?

 

    - Au Moyen-Age, Croizet était certainement à un carrefour, à une croisée… de chemins…

 

- Ouais, Croizet, Croisée… avec tes jeux de mots faciles... Et pourquoi pas les Templiers et les Croisés ?

 

    - Pourquoi pas… Mais le plus probable est tout de même que le nom du village viendrait de sa situation à la croisée des chemins, entre la "Grande voie     Charra" qui reliait Lyon à Vichy et la "Voie Sayette" qui était une voie de portage entre Rhône et Loire.... Et la rivière du Gand, au bord de laquelle se     situe le pré des Chevaliers, a été longtemps frontière entre Comtes du Forez et Sires de Beaujeu… Il a donc pu être logique qu’une bataille ait eu lieu à     la frontière…

 

- Oui. Mais pourquoi là ?

 

    - C’est un endroit qui a pu être stratégique. Le vieux pont qui traverse la rivière en ce lieu appelé Jarret est certainement ancien, ainsi que le chemin     qui y passe. Il est dominé côté Forez par la colline de Ratille, où siégeait une place forte. Côté Beaujolais, des ruines encore visibles au-dessus du     talus du chemin ont pu être celles d’un poste de garde. D’ailleurs le lieu-dit juste au-dessus s’appelle La Porte. Etait-ce la porte de garde du     Beaujolais ?

- Ouais, que des suppositions. Tu ne nous réinventerais pas l’histoire, là ?

 

    - Peut-être. Mais il y a quelques certitudes… Au bourg de Croizet, il y avait la porte du Beaujolais… Et à deux km par les chemins, le Château de     L’Aubépin était l’un des fiefs Beaujolais… Surtout, il nous reste un écrit. Celui du traité de Paix du 8 Mai 1222 entre le comte Guy II de Forez et Humbert     de Beaujeu, et qui atteste de la frontière en cet endroit… Je cite :« …/… la frontière est fixée au ruisseau de Gand jusqu’au sentier (caminum) qui va à     Croizet vers le « garde » de Ratille, jusqu’à la voie (stratam) Sayette et ensuite jusqu’au port de Roanne. »

- Ouais… tu commences à être convaincant… mais pas encore vainqueur… Et bref, s’il y a eu combat, c’était une escarmouche entre chevaliers défendant leur pré carré…

    - Peut-être … et peut-être plus. Car la frontière entre Forez et Beaujolais ne départageait pas que des seigneuries locales . Rappelle-toi le Traité de     Verdun en 843…

- Qu’est ce que Verdun vient faire là ?

    - C’est à Verdun qu’a été signé le Traité de 843 partageant l’Empire de Charlemagne entre ses fils. De ce traité et de ceux des années suivantes, car ce     partage a été l’objet de nombreuses revendications et modifications sont sortis le Saint Empire Romain Germanique et le Royaume Franc…

- Et alors ?

    - Beaujeu faisait partie du Royaume Franc et le Forez du saint-Empire Germanique… Croizet se situait ainsi à la frontière entre un Royaume et un     Empire. Et ce n’était pas de petits territoires… le Royaume Franc correspondait à toute la partie de la France actuelle située à l’Ouest d’une ligne     approximative entre Lille et Marseille. Le Saint Empire Germanique couvrait l’équivalent de l’est de la France, du nord de l’Italie, de la quasi-totalité de     l’Allemagne, de la Suisse, de la Belgique et de la Hollande d’aujourd’hui… Croizet était ainsi à la croisée d’enjeux qui allaient bien au-delà de simples     enjeux locaux. Et la bataille des Chevaliers n’était peut-être pas qu’une simple querelle locale…

- Quelle histoire !

    - Et qui à partir du nom d’une petite prairie d’un hectare à Croizet sur Gand nous a fait voyager non seulement dans le temps, mais aussi à l’échelle de     l’espace européen…

 

 

 

Sources :

Claude Janin - "Chemin de Sayette : sur les pas des portages entre fleuves Rhône et Loire ?" - Ed Chemins du Passé - 2016